Jonas, the Trickster

Citation :

Le Trickster (littéralement « farceur ») est un petit personnage mythique présent dans toutes les cultures. Il à la base une divinité chaotique à la fois bonne ou mauvaise, une forme de médiateur entre le divin et l’homme. Il passe avec facilité de l’autodérision au sérieux le plus total ; mourir, renaître, voyager dans l’au-delà et conter sont certains de ses attributs. Il est indispensable à la société : sans lui, elle serai sans âme. Le Trickster est une sorte d’individualiste solitaire contemplant les institutions telles des entités étrangères. Ne laissant personne indifférent, l’humour est son arme de prédilection, même si celui-ci peut-être cruel.

Extrait de « Mythes et créatures, tome II »

C’est avec ces maigres informations, recueillies dans des ouvrages osbcurs et déformés par les mythes et les contes, que je me rends donc chez Jonas, nécromancien de son état, surnommé prudemment et à voix basse « The Trickster » par nombre de mes sources. Il est l’une de ces personnalités dont mon magazine, Weirdo’hebdo, souhaite voir le portrait étalé sur trois pages, dont une avec une photo plein pied emprunte de classe et de mystère. Et comme toujours c’est à moi, le petit reporter de service, d’aller sur le terrain. Formidable.

Les environs sont sombres et inquiétants, comme on en attend d’un quartier d’Halloween. Mais plus encore ici, la rue toute entière respire la mort. Tout y est froid, morbide, vide. Les présences d’un nécromancien et du cimetière non loin sont incontestables, et c’est après avoir rattrapé plusieurs fois mon courage, prêt à déguerpir loin de ce lieu de malheur, que je parvins enfin sur le palier de la maison de Jonas, semblable à toute les autres. Pourquoi ne m’a-t-on pas envoyé interviewer un Père Noël ? Ou Aphrodite... Ou même n’importe qui ne se trouvant pas dans le monde d’Halloween ! Mais je devais faire mon travail d’investigation, jusqu’au bout. Trois coups à la porte, des bruits de pas précipités, une serrure qui se déverrouille et, enfin, je rencontre celui que l’on dit être un Trickster.

« Je vous attendais. » lance-t-il avec un grand sourire. « Beau costume. Entrez donc, retirez vos chaussures, votre chapeau et votre éventuelle perruque, et attendez-moi dans le salon. J’ai un très beau canapé type renaissance qui n’attends que votre postérieur ! »

Comme accueil, j’ai déjà vu plus étrange. Quelque peu rassuré, je me rends directement dans le salon, mitoyen de l’entrée. Une grande pièce tout ce qu’il y a de plus banal : une endroit très lumineuse au papier peint jauni, comprenant quelques meubles plus pratiques qu’esthétiques et de nombreux bibelots tout à fait banals... on se croirait dans la maison d’un père de famille marié depuis vingt ans et venant tout juste de terminer le remboursement du crédit de sa petite maison de banlieue. Je m’attendais à tous, sauf à ça. M’installant dans le seul canapé présent, bien loin de la Renaissance, j’attends patiemment jusqu’à ce que mon hôte revienne, un plateau recouvert d’amuse-gueules sur une main, un café dans l’autre.

« Tous les journalistes aiment le café, non ? Tenez, et commençons. »

S’installant sur un fauteuil face à moi, il croise les jambes, joint les mains et m’observe, le sourire aux lèvres, la tête légèrement penchée sur le côté. Même si tout à l’air normal ici, je ne peux empêcher un frisson d’appréhension de remonter le long de mon dos. Quelque chose est clairement étrange ici. Me reprenant bien vite, je décide de démarrer sans plus attendre :

« Bien, soyons directs Jonas... vous êtes donc nécromancien. Pouvez-vous nous parler de votre travail ? »
« C’est très simple. Comme vous vous en doutez, je travaille principalement au cimetière. Je recueille les âmes, je les trie, je les classe, je les organise et je les utilise comme bon me semble. Toujours dans l’intérêt d’Halloween, évidemment. »
« Vous êtes sous les ordres de... »
« Personne, parbleu ! » s’exclame-t-il. « Si vous parlez de Jacky, sachez que... disons que je lui rends service. Comme à un fils à son bien-aimé papounet, vous voyez ? »
« Hum... d’accord... Que pouvez-vous me dire, justement, sur Jack ? »
« Sa maison, c’est une vraie boucherie là-dedans ! » Il éclate de rire puis se tait subitement. « Vous ne voyez pas la référence ? Pas grave. Disons qu’il est amusant. Il dirige bien les choses. Un peu mégalo sur les bords peut-être mais bon, il est mon créateur après tout et... Hey ! Ce n’est pas censé être un portrait de moi ?! Parlez donc de moi ! Enfin, je vais parler de moi, mais demandez à parler de moi ! Le café est à votre goût ? »

Je retiens un soupir d’agacement tout en hochant docilement la tête. En vérité, le café est un véritable jus de chaussette, quant aux amuse-gueules… disons que la faim se fiche du goût des choses. Évitant de m’éparpiller, je poursuis :

« Nécromancien, c’est une vocation de toujours pour vous ? »
« Disons que s’il s’agissait de mon destin. Jack me voyait déjà en tant que nécromancien, lors de ma création. Mais… ça n’a jamais été un aboutissement pour moi, encore moins une vocation. La nécromancie est un simple outil des plus amusants. »
« Un outil, pour ? »
« Satisfaire ma véritable nature. » Il se penche légèrement en avant, arborant un grand sourire parfait pour mettre mal à l’aise. « Nourrir mes véritables ambitions. »
« Avouez-le, Jonas, vous savez ce que je vais vous demander. » Un silence, je continue : « Vous êtes un Trickster, n’est ce pas ? »
« Je suis un Trickster nécromantique ! J’aime cette expression. Mais je sais d’où viennent vos informations. Il faut arrêter de croire au Père Noël ! Enfin si, mais non. » il éclate de rire « Je suis loin d’être une divinité, je suis comme tant d’autres habitants d’Halloween, mais… » il se lève soudainement et s’approche de moi, tandis que je me tasse sur mon fauteuil. « J’ai l’esprit et la volonté de ces êtres de légende. Je suis un agent du grand désordre. Je suis celui à qui personne ne peut se fier. D’ailleurs, je ne me fie jamais à moi-même, qui sait quand j’en viendrais à me trahir… » Il se détend soudainement, et poursuit : « J’espère que les amuse-gueules étaient à votre gout. Mon cuisinier s’est donné du mal pour vous satisfaire. »

Alors que je m’apprête à rebondir sur une autre question, ledit cuisinier sort soudainement de la cuisine et vient se placer aux côtés du Trickster. Assez gros, une barbe fournie, un tablier taché par toute sorte de produits mais, surtout… il n’est qu’un cadavre. Sa peau grise est striée de diverses blessures et morceaux de chair pourrie pendouillant, l’un de ses yeux n’est plus qu’une orbite vide sanguinolente, sa jambe droite est totalement à l’envers et, à certains courts instants, son corps tout entier semble perdre un peu de sa consistance, avant de la retrouver soudainement.

« L’invité est satisfait ? » demande l’esprit d’une voix où résonne un écho des plus inquiétants.
« Je pense, il semble être bouche bée ! » s’amuse Jonas.

Je jette un œil à la tasse de café : de petites chaussettes visiblement sales baignent dans un liquide qui pourrait être tout, sauf du café, ou même ne serait qu’un quelconque liquide buvable. Mes yeux se tournent vers le plateau d’amuse-gueules : tous sont pourris et habités par plusieurs colonies de vers, dont certains s’agitaient maintenant derrière mes dents. Je sens la nausée et l’horreur monter et, retenant un cri d’effroi, je me lève d’un bond et me précipite hors de la maison, m’enfuyant les jambes au cou dans les rues d’Halloween, le cœur battant à tout rompre, tandis que Jonas me lance depuis le pas de sa porte.

« Pensez à nous pour votre prochain guide culinaire ! Une ou deux étoiles ? Vous pouvez me le dire, allez ! Revenez ?! Non ? Bonne journée ! »

Jusqu’à ce que je sois loin de cette ville de fous, son rire resta ancré dans mon esprit. Le rire de celui qui ne vivait que pour le chaos, la traitrise et les mauvais tours.

Citation :

Lettre de Jonas destinée à Jack the Ripper :

Bonsoir, éventreur adoré de toute choses un tant soit peu versées dans l’effroi et l’épouvante. Je voulais simplement te prévenir que je n’ai pas pu répondre à l’interview du journaliste qui voulait faire une enquête sur les habitants de notre belle ville, dans le but de soi-disant redorer notre image. Le pauvre a eu quelques problèmes de digestion et a été incapable de poser la moindre question. J’espère qu’il s’en remettra, il avait l’air tout fiévreux. Enfin bref, au plaisir de voir le prochain travail que tu me demanderas ! Quelque chose de plus amusant, je l’espère. C’est à peine si j’ai pu user de mes chers esprits ! Non pas que j’ai usé d’eux. Comme je l’ai dit, le pauvre journaliste était malade. Donc, avec toutes mes meilleures considérations, à bientôt cher et grand seigneur d’Halloween !

Certains aiment le détester, d’autres détestent l’aimer. De manière générale, Jonas laisse rarement les gens indifférents. Totalement imprévisible, il est surtout connu pour aimer rire... aux dépends des autres. Malicieux, farceur, amuseur, beaucoup de qualificatifs lui sont donnés, mais peu définissent réellement la vérité dans sa totalité. Certes, cet homme bien sur tous les rapports semble avoir un goût prononcé pour les mauvais tours qui, associés à son sourire sarcastique - certaines mauvaises langues préférant même dire sardonique - renforcent ce côté « farceur » que beaucoup voient chez lui. Mais n’est ce que ça ? Ne cherche t-il que l’amusement, sans autre but ?

Oui, Jonas aime s’amuser, jouer des tours, nouer des complots et des intrigues, mais tout ceci a un but. Contrôler le monde, comme le désirent la plupart des habitants d’Halloween ? Pas exactement. Tout simplement le chaos, voilà ce qu’il cherche. Faire s’envoler les lois de la logique, briser tous les codes, mettre à bas les structures, que tout ne soit qu’un joyeux capharnaüm, car telle est la volonté de tout Trickster qui se respecte. Et en tant que tel, il dominerait finalement le monde. Comme tous les rares gens de son espèce, il se place comme un maître du désordre. Or, si le monde est en désordre, il en est le maître. CQFD, rangez vos stylos, faîtes s’envoler vos cerveaux !

Ironie de la chose, Jonas est doué pour organiser les choses. Il a beau se montrer désinvolte voir même irresponsable en toute circonstance, il n’est pas pour autant totalement inconscient. Son attitude générale est même plutôt calme et raisonnable en apparence, bien loin de l’image d’un bouffon dansant. En vérité, derrière son masque goguenard se cache un être plus sérieux qu’on ne le pense, calculant chacun de ses coups pour maximiser les chances de voir ses plans aboutir, sans accrocs. Même si sa nature chaotique n’est pas la meilleure garantie contre les imprévus. C’est pourquoi, en dépit de ce qu’il est, Jonas se révèle être un parfait nécromancien, récupérant et triant les âmes avec méthode et efficacité pour utiliser tout leur potentiel. Cela pour l’aider dans ses tours. Des tours de magie ? Des illusions ? Avec tous ces fantômes à ses ordres, les mises en scènes horrifiques deviennent un jeu d’enfant pour lui. Parfait, pour quelqu’un préférant la ruse et la duperie à la force brute et vulgaire.

Et ses rapports avec les autres ? À qui va sa loyauté ? Loyauté ? Qu’est ce donc que ceci ? Il ne connait pas une telle chose. Bien entendu, il apprécie certains plus que d’autres et peut se révéler une excellente compagnie et un soutien plus qu’appréciable pour qui parvient à attirer sa sympathie ou son respect. Malheureusement, ces choses là vont et viennent chez lui. Son ami est son ennemi de demain, son allié d’hier devient son adversaire d’aujourd’hui, bref, la trahison ne lui est pas étrangère. Fricoter avec le grand Nicolas ? Pourquoi pas. De toute manière, il a déjà murmuré à la l’oreille du Lapin de Pâques que le faux vieux barbu avait lancé quelques moqueries inexcusables sur la sexualité des léporidés et leur capacité à être aisément floués. Le tout en assurant ce bon vieux Jacky de son éternel loyauté, vu qu’il vient de découvrir la définition de ce terme dans le dictionnaire. Alors, tricks or treat ?